PTSD : Ce mal qui nous ronge de l'intérieur 

(et dont nous sommes aussi responsables)

Voilà bientôt 80 ans que la France est sortie du plus gros conflit armé que le monde ait connu. 

Dans ce siècle de paix relative qui a permis à l’occident de se développer comme première puissance mondiale, les populations se sont retrouvées de plus en plus éloignées de la réalité de l’horreur, de la décadence, de l’ignominie et de la bestialité de la guerre. La pensée du corps est sacralisée, au point que les regards que l’on porte sur les hommes et les femmes mutilés se détournent d’inconfort, de peur, de malaisance. La mort, même naturelle, est devenue le nouvel ennemi à vaincre, chaque disparition, violente ou non, devenant un perte lourde, douloureuse et injuste, alors que dans d’autres pays du globe, elle est une compagne quotidienne pour chacun de leurs citoyens. Peu à peu, en vainqueurs de la grande guerre, les états d’occident ont construit leur identité de puissance supérieure, d’invincibilité de grand gagnant. Et dès lors que cette méga puissance fût ébranlée de 11 septembre 2001, elle n’a eu de cesse de mettre en lumière ses démonstrations de force.

Lorsque nos jeunes s’engagent aujourd’hui, ils s’engagent avec ce bagage culturel, qui nourrit autant de valeurs, de fantasmes, de croyances sur l’identité de Soldat de France.

 Et ils partent en guerre. Ils partent sur les conflits qu’ils rêvent de vivre, comme une grande aventure pour certains, pour leur passage dans leur vie d’homme exceptionnel d’occident, fort, puissant et ayant connu ce que les civils ne connaîtront jamais, pour d’autre.

Ils partent en Afghanistan, et connaissent les embuscades et les attaques les plus viles et meurtrières que les armées occidentales aient connues depuis la Guerre d’Algérie. Ils partent au Mali, en Centrafrique, et font face à des enfants leur rappelant leurs fils, leurs frères, leurs neveux et leurs nièces, qui portent des armes et qui les combattent avec l’agressivité d’un lion et la rage d’un hyène. Ils voient mourir leurs frères d’arme, au sein de ces véhicules qui brûlent après avoir sauté sur un engin explosif improvisé, en les entendant crier sous le joug des flammes contre lesquelles ils ne peuvent rien quelques fois. Ils voient des corps mutilés, décomposés, séchés au soleil au bord des chemins, comme nous verrions, dégoutés, le corps inanimé d’un renard sur le bord de nos routes.

Il doivent faire face au choix, parfois, de voir mourir leur meilleur ami juste à coté d’eux, alors qu’ils sont en train de sauver ceux qui peuvent encore l’être sous leurs gestes de spécialistes Medic, sachant déjà à quel point leur frère d'arme est condamné.

Ce qui blesse nos hommes, non pas dans leur chair, mais dans leur âme de soldat, ce n’est pas l’horreur de la réalité de la guerre. C’est le gap gigantesque que nous avons creusé dans leur esprit. 

Entre réalité brutale de la guerre et vie aseptisée de toute violence. C’est ce grand canyon du fantasme du combattant, que l’on creuse par des conditionnements forts, qui arrive à faire croire à un minot de 20 ans qu’il est invincible, et qu’il peut tout contrôler, y compris ses peurs, son corps, son éthique, et qui par la même occasion, l’emmène à se pendre à son lit, dans sa chambre, à l’issue d’un "jeudredi" à ressasser son vécu au combat. C’est notre angle de vue de la formation militaire d’aujourd’hui, qui, comme un ennemi caché au sein de nos rangs, poussent certains de nos hommes à choisir une agonie lente et libératrice, plutôt que de confier leur vulnérabilité inavouable. 

Si nous ne changeons pas d’angle aujourd’hui, alors demain, le syndrôme de stress post-traumatique continuera de prendre de l’ampleur dans nos rangs. Si nous continuons à envoyer des soldats toujours plus convaincus d’être des surhommes à faire face leur réelle fragilité, alors l’armée continuera de perdre de l’argent à prendre en charge des soldats démunis, détruits psychiquement et rendus à ce qui leur reste de vie civile (après divorce, perte de repère, de travail et d’identité) alors qu’ils devraient être au plus haut de leur compétence. L’armée continuera de perdre de l’argent à remplacer ceux qui ont l’expérience et le génie par des débutants rêveurs, nourris de fantasmes et inexpérimentés.

Voilà, en une page, le bilan de ce que j’ai observé, en 10 ans au sein de l’armée de terre. Voilà la synthèse des récits de vie de ceux qui m’ont formé depuis le 1er jour de mon engagement, de mes collègues de travail qui ont assuré ma spécialisation, des frères d’armes que j’ai pris en charge avec mes stratégies d’accompagnement, et dont je raconte entre autres choses l’histoire, dans mon livre « A la lumière de nos traumas ».

Et il y a mon expérience aussi, à mon échelle, impliqué directement ou témoin, qui m’a permis de construire et tester tout ce que je pouvais tirer de mes compétences pour changer d’angle.

Pour améliorer les conditions psychiques de mes frères et de mes sœurs. Comme devoir laisser un homme mourir par manque de moyen. Comme se rendre compte de qui on abat, ces « barbus », ces « animaux », qui sont pourtant tous aussi heureux que nous de retrouver leur enfant le soir. Comme se rendre compte du regard se vidant de toute vie de celui qui est un exemple, un mentor, une voie à suivre et sur qui, pour la première fois, nous réalisons tout ce que l’on a appris pour lui « sauver la vie », et sentir, démuni, son dernier soupir nous caresser la joue. Comme se rendre compte des véritables raisons de notre présence sur un territoire hostile, bien au-delà des promesses de liberté, d’égalité et de fraternité, et bien plus sombres, qui sont pourtant, dans la véracité du monde d’aujourd’hui, les éléments les plus précieux pour la sauvegarde du monde que nous avons bâti.


Des solutions existent et ont prouvé leur efficacité. 

Les Techniques d’Optimisation du Potentiel sont une réelle plus value dans la préparation du combattant, s’appuyant sur des techniques de coping, de gestion et de dynamisation des capacités. Ces techniques sont d’une aide remarquable dans la gestion du sommeil, tellement précieux en opération. Elles sont d’une utilité certaine dans le développement des compétences grâce aux techniques de visualisation mentale. J’ai moi-même travaillé de cette manière mes process de sauvetage au combat ou mes protocoles de tir des centaines de fois en utilisant ces méthodes, et elles m’ont permis d’acquérir des automatismes plus rapidement et sans surcoût.  L’Institut de Recherches Biomédicales des Armées travaille d’arrache pied pour créer les techniques qui feront le « combattant augmenté de demain. »

 Bien qu’elles permettent à nos hommes d’être plus fort, plus concentrés, plus reposés, et que cela ait apporté un véritable espace de développement au combattant, ces techniques ne s’attardent pas sur un point oublié de la préparation mentale : se retrouver plus démuni, plus faible, plus vulnérable et se permettre de mettre en œuvre ses compétences dans un état de « combattant diminué ».


Et si, à l'aube de la guerre de haute intensité, et alors que la cognitive warfare se développe, nous repensions notre manière de booster nos hommes en leur permettant d'apprendre de leurs plus grandes faiblesses?

 Et si nous offrions à nos hommes la possibilité de faire face au combattant diminué qu’il n'a encore jamais connu, jamais expérimenté, alors qu'il va irrémédiablement le rencontrer une fois sur le terrain? Quelle avantage d'intelligence, de connaissance de soi, de confiance en soi et en son unité cela développerait?

BONUS